La démence a beau ne pas caractériser la vieillesse, elle en est l’image repoussoir par excellence. Parmi les types de démence, la plus connue est la maladie d’Alzheimer qui canalise presque, à elle toute seule, toutes les angoisses liées au vieillissement.

 

La maladie d’Alzheimer fait peur de par ses symptômes et ce qu’ils évoquent en termes de perte d’une partie de soi et de ce que l’on a été. Cela effraie d’autant plus que la maladie est incurable. Il n’existe, pour l’heure, aucun traitement permettant d’empêcher que la maladie ne progresse. Et la maladie d’Alzheimer est par nature évolutive. Ses symptômes s’aggravent progressivement au fil du temps. On définit ainsi plusieurs stades dans l’évolution, avec des niveaux de déficit cognitif de plus en plus lourds. Les symptômes évoluent, s’aggravent et avec eux apparaissent des troubles du comportement de plus en plus marqués. Il peut s’agir d’une attitude de retrait (apathie, repli sur soi…), ou au contraire, de l’agitation, des cris, des comportements désinhibés, de l’agressivité, ou encore, des attitudes de refus de soin, de s‘alimenter, d’assurer son hygiène, etc. [1].

 

DES AIDES À DOMICILE DÉSARÇONNÉS FACE AUX SYMPTÔMES DE LA MALADIE

Il arrive souvent que les professionnels qui aident et accompagnent les personnes au quotidien soient désarçonnés par de tels comportements, les jugeant trop “dérangeants”, “perturbateurs”, voire “dangereux” pour la personne elle-même, comme pour eux.

Combien d’auxiliaires de vie exerçant à domicile n’ont-ils pas remonté à leur direction le souhait de bénéficier d’une formation pour les aider à faire face à de tels comportements perturbateurs ? Comment apaiser une personne dans un état d’agitation anormal ? Comment faire face à l’agressivité ? Au refus d’alimentation ?

Avant toute chose, il importe de s’interroger sur les causes possibles de ces troubles comportementaux. Car comme le rappelle la Haute Autorité de Santé (HAS), leur origine est “multifactorielle” [1]. Il est donc important de ne pas tout mettre sur le dos de la maladie, mais de rechercher également d’autres causes possibles, comme la douleur, ou ce qui dans l’environnement ou dans l’attitude de l’aidant, a pu provoquer de tels troubles. Cela étant, l’auxiliaire de vie n’étant pas un professionnel médical habilité à établir des diagnostics, il importe à leur niveau de retracer ces événements afin de les remonter aux professionnels habilités.

Et dans l’immédiat de la situation, de quels moyens dispose concrètement l’intervenant à domicile pour apaiser et apporter une aide adaptée à la personne qu’il accompagne à son domicile ?

Les techniques de “prise en charge” des troubles du comportement perturbateurs – pour reprendre les termes de la HAS [1] – sont diverses et souvent complémentaires les unes aux autres. On peut identifier trois types de moyens : des interventions médicamenteuses (que nous ne développerons pas ici), des interventions non médicamenteuses et une approche plus transversale basée sur des techniques de communication bienveillante et positive.

LES APPROCHES NON MÉDICAMENTEUSES

Il s’agit d’interventions sur la qualité de vie, sur le langage (orthophonie), sur la cognition (stimulation cognitive, revalidation cognitive), sur la stimulation sensorielle, sur l’activité motrice, sur les activités occupationnelles” (HAS [1], p.11).

Le point commun des ces approches est de considérer que même si les pathologies et les pertes sont importantes, il subsiste des acquis et des capacités variables selon les individus. On pourrait dire que ces approches ne s’intéressent pas aux parties malades du sujet. Elles s’intéressent à ce qui fonctionne encore et visent à le renforcer le plus possible pour le maintenir le plus longtemps possible.

Aux stades légers et modérés, les programmes de rééducation et de réhabilitation cognitive permettent d’améliorer le quotidien des personnes via différentes techniques de contournement ou de compensation leur permettant de conserver le plus longtemps possible une vie autonome.

A des stades plus avancés, d’autres approches plus basées sur l’animation thérapeutique comme l’art-thérapie, la musicothérapie, la zoothérapie ou la stimulation des sens (approche Snoezelen, aromathérapie, etc.), visent à donner à chacun la capacité à s’exprimer en mobilisant ses compétences. En permettant l’expression de soi, le plaisir des sens et de la relation, l’idée est de renforcer l’estime de soi tout en favorisant un sentiment de bien-être, via justement l’expression des sens et des émotions.

La mémoire émotionnelle serait la dernière à être touchée. Alors certes il est impossible d’empêcher le déclin des capacités cognitives, mais on peut “s’appuyer sur les capacités affectives et émotionnelles des personnes malades pour continuer à être en relation avec elles, leur permettre de s’exprimer et de maintenir une estime de soi” [2].

S’il manque des preuves scientifiques de l’efficacité des approches non médicamenteuses dans le cadre de la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer [3], de nombreux experts recommandent malgré tout ce type d’accompagnement, notamment pour leurs effets « sur l’amélioration des interactions sociales, de la communication, et la réduction des troubles du comportement » [4].

Notons, par ailleurs, que cette question de la validation scientifique se heurte à la celle des indicateurs de mesure hérités du modèle médical. Il est très difficile en effet de mesurer scientifiquement un bénéfice quand un des principaux objectifs est de permettre à la personne d’avoir une action sur elle et sur son environnement. Nous touchons là à un autre point d’ancrage de ces approches qui tendent avant tout à considérer le sujet dément comme un être de désirs et de volonté, un individu à part entière doué de sens et de choix. Sa mémoire est certes affectée, mais son humanité n’est pas effacée pour autant. Il ressent, préfère, refuse, résiste…

LES APPROCHES DE COMMUNICATION BIENVEILLANTE ET POSITIVE 

Les troubles comportementaux sont générateurs de stress pour l’aidant, mais ils constituent aussi des bloquants venant gêner l’intervention. C’est un peu comme si ces comportements venaient empêcher son travail. Comment faire face à un refus d’aide de la part de la personne que j’accompagne alors même que c’est la raison d’être de ma présence à ses côtés, et alors même que je sais que de par sa maladie, cette dernière n’est plus en mesure de réaliser des choix éclairés ? On voit donc bien que la question de “la gestion” des comportements perturbateurs avec la maladie d’Alzheimer soulève un enjeu éthique crucial, qui est celui du consentement et de la place accordée aux choix de la personne âgée démente.

Et c’est bien là un point central des approches alternatives que de proposer des formes de communication plus respectueuses des choix de la personne, mais aussi plus respectueuses de son monde intérieur, de ce qui fait sens pour elle.

Il n’existe aucune forme de communication qui soit neutre. Ou dit autrement, toute forme de communication est un message adressé à l’autre sur la valeur, la place et l’intérêt qu’on lui accorde.

C’est pour cette raison qu’il est extrêmement important, pour un professionnel de l’aide et de l’accompagnement, de veiller à la manière dont il rentre en communication avec la personne aidée. Il existe ainsi plusieurs techniques, ou plusieurs approches, sur lesquelles ce professionnel pourra s’appuyer pour adopter des attitudes de communication adaptées à la personne à qui il s’adresse.

Les recommandations de l’HAS [1] mettent ainsi en avant un certain nombre de techniques de base comme “attirer son attention” en se mettant en face de lui par exemple, “éviter de faire à la place” ou “laisser au patient la possibilité de faire ses choix”.

Il existe également des méthodes “labellisées” comme l’approche Montessori, Humanitude ou la Validation (à prendre dans le sens de valorisation) qui ont été spécifiquement développées pour les personnes âgées atteintes de troubles cognitifs et de la communication.

Toutes ces approches ont en commun un regard inconditionnellement positif sur la personne âgée, un regard qui va au-delà des pertes et des déficits. Mais elles ont également en commun de favoriser chez le professionnel un travail réflexif sur ses pratiques, dans le sens où elles sont un éveil à la “méta-communication”. La “méta-communication”, c’est comment chaque professionnel est capable de s’interroger et de se remettre en question sur son propre fonctionnement. C’est sortir de soi autant que possible pour laisser à l’autre la place qui lui revient !


[1] HAS (2009). Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : prise en charge des troubles du comportement perturbateurs. Recommandations de bonne pratique, Mai 2009.

[2] Cette citation de J. Mollard, psychologue et chef de projet chez France Alzheimer, est tirée d’une page web consultée en octobre 2014 et qui n’est plus accessible aujourd’hui <www.francealzheimer.org/sites/default/files/Les approches therapeutiques non medicamenteuses.pdf>

[3] HAS, Op. Cit. ; Anaes (2003). Prise en charge non médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer et des troubles apparentés. Paris : Anaes.

[4] Anaes, Op. Cit. : 7