Les plateformes proposant des services sur Internet prolifèrent.
Les plus connues (Leboncoin, Seloger, Blablacar, Sefaireaider, Uber, …) rencontrent des succès incroyables. Les plateformes autres que les plus connues ont peu ou pas d’utilisateurs : la prime au leader est telle qu’il est difficile de faire sa place au soleil. Après l’échec des enseignes à la fin des années 2000, de nouveaux projets de plateformes ont été lancés dans le secteur du domicile, avec pour objectif de dématérialiser et d’automatiser la mise en relation entre un offreur et un demandeur.
Une caractéristique commune de ces plateformes : les services qui y sont proposés sont des services simples – se faire transporter, acquérir un objet, trouver un logement – et non répétitifs : on ne voyage pas et on ne déménage pas tous les jours.
Un dispositif multi-acteurs d’assistance à domicile
Au contraire, les services d’aide au maintien à domicile sont des services compliqués, notamment quand l’état de santé s’est dégradé ou lorsque le cadre familial est déstabilisé. Ces services nécessitent un dispositif d’assistance multi-acteurs. Les craintes de la personne aidée – auxquelles une réponse doit être apportée – sont souvent nombreuses et diverses. La sécurité, l’isolement, la maladie, les relations avec l’entourage, la confiance envers les professionnels sont autant de paramètres qui conditionnent l’adéquation du plan d’aide aux besoins et aux souhaits de la personne.
Ceci suffirait pour penser que le jour où le domicile se fera « ubériser » n’est pas encore arrivé.
La désintermédiation ne répond pas aux besoins d’aide à domicile
En analysant un peu plus les piliers sur lesquels repose le phénomène de l’ubérisation, on s’apercevra que celle-ci est très éloignée de ce qu’attendent les personnes qui souhaitent vivre le plus longtemps à domicile, malgré la venue du grand âge ou les difficultés liées à un handicap ou un début de dépendance.
- La mise en relation automatisée via une application sur smartphone ne peut pas rassurer les personnes âgées. Aucune garantie ne peut être donnée sur le sérieux, le professionnalisme et l’honnêteté des prestataires, qui sont choisis automatiquement. Sans compter la faible appétence des personnes concernées pour utiliser des matériels électroniques.
- La désintermédiation. Celle-ci n’est ni possible ni souhaitable pour l’aide à domicile, car chaque intervention est unique. Les coordinateurs doivent prendre toute la mesure du besoin avant de proposer une solution satisfaisante. Ce n’est pas une machine, aussi « intelligente » soit-elle, qui peut se substituer à leur jugement de professionnel.
- En « co-produisant » le service avec le client, il est possible de réduire le coût de prestations ubérisées. Mais au domicile, cette « co-production » n’est guère possible. Les personnes fragiles recherchent en priorité des professionnels qui les soulagent d’une partie des préoccupations et des soucis du quotidien. Ils ne veulent pas qu’on en rajoute.
- La mesure de la qualité par les utilisateurs. Elle ne peut pas se faire pour le domicile comme pour une nuitée d’hôtel ou la livraison d’un produit. Au domicile, le bien-être est le résultat du professionnalisme de l’intervenant, des capacités de la personne aidée et de la bienveillance de l’entourage. Comment juger tout cela avec une note de 1 à 5 ?!
- L’ubérisation encourage la fourniture de services par les non-professionnels. Cette tendance est à l’opposé des attentes des personnes et des efforts des prestataires de service comme des services sociaux pour renforcer la qualification des intervenants et le professionnalisme des structures.
Bien sûr il existe et il existera toujours de nombreux sites proposant à des intervenants de poster leur candidature et à des employeurs de rechercher le candidat qui leur convient. Mais pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, l’exigence de confiance est telle que l’on n’est pas prêt de voir « ubérisés » les services d’aide au maintien à domicile.
Jean Bourdariat